La Seyne_sur-Mer (Var)  La Seyne_sur-Mer (Var)
Retour au Sommaire
de l'Histoire de La Seynoise
Marius AUTRAN
jcautran.free.fr
Retour à la page d'accueil
du site de La Seynoise
Histoire de la philharmonique La Seynoise

Cent soixante-dix ans de passion musicale (1840-2010)
CHAPITRE PREMIER

De Marius Gaudemard à Léon Gay
(Texte intégral du chapitre)
 
 Au quartier des Aires, avec Joseph Marius Gaudemard

    Monsieur Louis Baudouin (1), dans son Histoire Générale de La Seyne-sur-Mer, nous apprend qu'en 1830, un certain Marius Gaudemard tenta de constituer dans notre ville un groupement à caractère artistique. Cette tentative, ajoute notre historien, ne fut pas couronnée de succès et ce n'est que dix ans plus tard que ces louables intentions aboutirent.

(1) Baudouin Louis. Histoire générale de La Seyne-sur-Mer et de son port depuis les origines jusqu'à la fin du XIXe siècle, édité par l'auteur. 1965.

    Pourquoi cette longue attente de dix ans alors que la Musique et le Chant commençaient à intéresser un bon nombre de gens désireux de les pratiquer ?

    La raison en est simple : la liberté d'association n'existait pas et les dirigeants de la France d'alors n'étaient pas disposés à l'accorder. La Révolution de 1789 avait bien reconnu le droit d'association, mais les gouvernements de la période suivante n'appliquèrent ce droit qu'avec beaucoup de circonspection quand ils ne le supprimèrent pas tout à fait.

    Mais en ces premières décennies du XIXe siècle, on allait assister à une telle poussée de l'opinion publique en faveur de l'expression artistique, que Louis-Philippe, alors Roi des Français, se vit dans l'obligation de desserrer quelque peu le carcan législatif.

    Certes, les associations à caractère politique demeurèrent longtemps hors-la-loi, mais les autres, c'est-à-dire celles qui avaient une vocation humanitaire, artistique ou religieuse, furent tolérées, ce qui veut tout de même dire que leur existence restait précaire.

    Les premières sociétés artistiques pratiquaient l'harmonie et le chant choral. Depuis longtemps, dans les églises, cette dernière forme d'Art musical était en usage, mais pour que l'harmonie se répande dans les milieux populaires, il fallut créer des orphéons (2). Les autorités, par crainte que des activités subversives ne soient dissimulées derrière ces associations, les faisaient étroitement surveiller.

(2) Orphéon - 1833 - du nom (donné par Wilhem aux écoles de chant qu'il fonda à Paris : École, Société de chant choral) d'Orphée, musicien et poète dans la mythologie grecque et qui perdit sa femme Eurydice. La tradition nous présente Orphée comme un musicien merveilleux : quand il chante, quand il joue de la harpe, toute la nature est enchantée. Rentrant du périple où, avec Jason et les Argonautes, il ravit la Toison d'Or, Orphée fut amoureux et épousa une naïade, Eurydice. Mais elle marcha sur un serpent qui la mordit et elle mourut. Orphée, séduisant le passeur de l'Enfer et les Cerbères par son chant, ils lui accordèrent de sauver Eurydice à condition qu'il la précède et ne se retourne pas. Dans la version de Virgile et d'Ovide, Orphée ne pourra résister et, se retournant, perdra à nouveau celle qu'il aime. À sa mort, la lyre d'Orphée deviendra une constellation.

    C'est le compositeur, Bocquillon, dit Wilhem qui, le premier, créa de ces sociétés dès 1833, lorsqu'il voulut que le chant soit enseigné dans les écoles. Il constitua un ensemble de choristes à Paris, qu'il baptisa Orphéon. Par la suite, les autorités parisiennes étendirent cette expérience à toute la capitale. Des adultes vinrent peu à peu se mêler aux écoliers ce qui, ajoutant à la richesse des timbres, permit l'exécution de chants à plusieurs parties vocales.

    Un engouement extraordinaire se manifesta dans la population parisienne d'abord. Après une audition qui eut lieu dans la salle Saint-Jean de l'Hôtel de Ville, avec le concours de trois cents chanteurs, Wilhem obtint du Ministre Guizot un arrêté donnant à l'orphéon une existence officielle. En 1847, cette formation comptait douze cents à quinze cents chanteurs.

    En 1859, on comptera, pour la France et la Belgique, quelque sept cents orphéons.

    Or, depuis 1840, les Seynois possédaient le leur. Cela signifie que notre ville a été parmi les premières à cultiver l'art vocal. Par surcroît c'est, rappelons-le, vers 1830 que Marius Gaudemard eut l'idée de créer un groupe artistique.

Marius Gaudemard, Fondateur de La Seynoise, Président de 1840 à 1870 et Chef de musique de 1840 à 1866

    Mais on peut se demander pourquoi dix années entre la première manifestation et la création effective de La Seynoise.

    La raison, nous l'avons exposée : la Monarchie de Juillet freinait cette aspiration des populations à la pratique de l'Art musical. Or, nous l'avons vu, à partir de 1833, une première expérience avait été tolérée avec l'Orphéon de Paris. Il est bon, d'ailleurs, de rappeler que dans la même période, le Ministre de l'Instruction publique Guizot avait fait voter une loi créant l'Enseignement public.

    Là aussi, le pouvoir devait reculer et accorder au peuple français l'instruction dont il avait besoin.

    La tentative de Marius Gaudemard se heurta donc au mauvais vouloir des autorités. Néanmoins, nous sommes en possession d'un document qui prouve l'existence d'un groupement musical dont il y a fort à parier qu'il n'était pas reconnu officiellement. Ce document est un diplôme qui porte la mention (voir ci-dessous) « Fondée en 1831 par Marius Gaudemard ».

Diplôme d’Honneur de La Seynoise, décerné à M. Désiré Gilardi en 1921 et mentionnant 1831 comme date de fondation de la Société
Plusieurs diplômes de ce type décernés à des élèves de La Seynoise mentionnent 1831 comme date de fondation de la Société. Il est probable que Marius Gaudemard obtint des promesses ou une autorisation à titre précaire pour la créer. Pendant longtemps, et même après 1840, comme nous l'expliquons, les associations de toute nature furent tolérées. Compte tenu des fluctuations politiques qui ont entraîné des complications infinies dans la législation, il est toujours hasardeux de se prononcer d'une manière péremptoire sur la date précise de telle ou telle fondation

    Ayons donc une pensée pour ces courageux précurseurs qui, à une période où les répressions contre le peuple suspecté d'activités subversives étaient particulièrement sévères, n'hésitèrent pas à affronter les tracasseries de l'administration et la méfiance des autorités.

    En 1834, une loi tolère enfin les associations, mais elle les contraint à ne pas regrouper d'effectif supérieur à vingt personnes, à espacer les réunions qui ne doivent pas avoir lieu à date fixe, bref, on accepte le principe, mais on essaie d'en empêcher l'application.

    D'autant qu'à la moindre infraction constatée, des amendes très lourdes frappaient les présidents, suivies de sanctions sévères appliquées à l'encontre de tous les membres des sociétés contrevenantes.

    Dans ces conditions, il était aisé de décourager des gens qui, soulignons-le, qu'ils soient agriculteurs, artisans, employés, pêcheurs ou ouvriers, n'avaient pas des temps de loisirs très importants.

    Marius Gaudemard, alors âgé de 33 ans, remarquable par sa ténacité, ne pouvait pas se contenter d'une vingtaine de membres actifs à l'association dont il rêvait. Alors, usant d'un stratagème, il créa deux structures : la Philharmonique et l'Orphéon qui devaient se réunir séparément et pratiquer des formes d'art différentes.

    Progressivement, les associations entrèrent dans les moeurs, mais elles n'étaient que tolérées. Il faudra attendre 1848 et la Seconde République pour que la liberté d'association soit de nouveau inscrite dans la constitution avec, toutefois, des restrictions quant aux discussions politiques qui pouvaient avoir lieu au sein des associations.

Carte d'invitation envoyée par le Président Edouard Pons et qui mentionne « Fondée en 1838 ».
Les textes officiels donnent comme date de naissance de La Seynoise l'année 1840. Nous avons vu ci-dessus le diplôme décerné à Désiré Gilardi qui fait état de 1831 comme date de fondation de notre philharmonique
(Archives privées de Mme Toche - fille du Président Léon Gay)

    Le Coup d'État de 1851 va ramener les choses à leur situation des années 1830, mais la IIIe République commencera à rétablir les libertés bafouées par l'Empire. Il faudra cependant attendre la célèbre loi du ler Juillet 1901 pour que les associations aient une véritable existence légale. Cette loi, destinée à combattre le pouvoir temporel de l'Église, dans la lignée des grandes lois laïques, dont celle marquant la séparation de l'Église et de l'État, (1905), donne aux associations une grande liberté d'action dans tous les domaines. Le seul impératif est qu'elles soient à but non lucratif, c'est-à-dire que ses membres ne se partagent pas le bénéfice éventuel réalisé par l'association dont les activités doivent être conformes aux buts déclarés.

    Mais pour en revenir à 1840, Marius Gaudemard réunit ses quelques musiciens et ses premiers choristes.

    Tout a commencé, pour eux, au quartier des Aires qui couvrait, au début du XIXe siècle les confins nord-ouest de la vieille ville. En ce temps-là, le centre-ville pouvait se situer au bas du cours Louis Blanc et il suffisait de franchir quelque deux cents mètres vers le nord, par la rue Denfert-Rochereau ou vers l'ouest par la rue Clément Daniel (3) pour se retrouver en pleine campagne.

(3) La plupart des noms que nous citons ici (Denfert-Rochereau, Clément Daniel, Charles Gounod, Victor Hugo, Germain Loro) n'étaient bien évidemment pas ceux que portaient alors les rues, car les hommes célèbres du nom desquels elles seront baptisées plus tard étaient encore en vie à l'époque évoquée ici.

    Les terrains de cultures en blé, vignes ou jardins potagers, les vergers riches en cerisiers, pruniers, pêchers, orangers, on les découvrait au début du boulevard du Quatre-Septembre ou à la hauteur de la rue du Docteur Mazen. Ces voies de communication, sur le cadastre de l'époque, ne sont que des chemins vicinaux et portent seulement des numéros.

Plan cadastral montrant l'emplacement de la première salle de répétition de La Seynoise au quartier des Aires

    Une rue qui suivait approximativement le tracé de l'actuelle rue François Ferrandin pour rejoindre la rue Gounod se terminait à la place Germain Loro appelée alors place des Capucins et desservait les terres désignées par le cadastre sous le nom des Hoirs Coupiny. Au milieu de ces terres s'élevaient une fabrique de tuiles et un moulin à ciment. On appelait cette artère la rue des Aires, qui fut rebaptisée rue Saint-Esprit - nom qu'elle portait encore au début du XXe siècle - du fait d'une chapelle du même nom qui avait été construite au XVIIe siècle en bordure du chemin des Aires (4).

(4) Il est plaisant de mentionner que cette chapelle, lorsqu'elle fut détruite pour élargir la rue, fut reconstruite non loin de là, à l'angle des rues Gounod et Victor Hugo. Elle porte d'ailleurs incrustée sur sa face nord une pierre de l'ancienne chapelle et son millésime 1655.

Ancienne chapelle du Saint-Esprit à l'angle des rues Gounod et Victor-Hugo

Pierre encastrée sur la face nord de l'ancienne chapelle du Saint-Esprit et portant le millésime 1655

    Quant au nom de la rue des Aires, il vient, bien entendu, de la présence d'aires à battre, ces surfaces circulaires au sol pavé de briques rouges et limitées par une murette, sur lesquelles nos ancêtres écrasaient les gerbes de blé mûr au moyen d'un rouleau cylindrique en pierre lourde et cannelée, que tiraient de forts chevaux. Vision que bien des folkloristes ont idéalisée au siècle passé, oubliant le travail harassant que représentaient le caucage (foulage, dépicage des grains) aux heures les plus chaudes des mois d'été, pour obtenir une séparation parfaite des grains de leurs épis craquants.

    Cette partie de notre commune se nommait donc le quartier des Aires et il était paisible à souhait. Tout au plus s'animait-il dans la journée des jurons d'un paysan qui s'en prenait à ses bêtes, des aboiements de chiens ou des éclats de voix de quelque commère colportant un ragot.

    Et puis, le soir tombé, sur le chemin des Aires, s'en venaient seuls ou par petits groupes, portant sous le bras leur étui de toile ou de bois renfermant le précieux instrument de musique aux formes variées, des travailleurs de la terre, des artisans, des ouvriers, des commerçants. Ils se dirigeaient en devisant vers un local vétuste dans lequel ils s'entassaient pour faire de la musique sous la direction passionnée de Marius Gaudemard.

    Marius Gaudemard, qu'il convient maintenant de vous présenter, était Hôtelier limonadier si l'on en croit les documents d'état civil. Son établissement se trouvait sur le grand môle qui devint la rue et le quai Hoche. Il possédait au milieu du XIXe siècle une grande salle servant pour les noces et banquets, un restaurant et des chambres meublées. Cet hôtel était déjà parmi les plus réputés de la ville.

    Par la suite, cet hôtel devint le Café Rousset, du nom d'un déporté de 1851, nom qui avait également été donné à la première rue parallèle à la rue Hoche. Au début du XXe siècle, le Café Rousset deviendra le Grand Hôtel Central et il porte aujourd'hui le nom de La Frégate.

    À ses activités commerciales, Marius Gaudemard en avait ajouté une autre qui devait l'accaparer toute sa vie : l'Art musical.

    Sous sa direction, une trentaine de Seynois de toutes conditions, venaient au moins deux fois par semaine dans la salle de répétition pour préparer les concerts. Les airs les plus en vogue d'une époque qui s'éveillait au Romantisme avaient captivé depuis longtemps ces hommes qui éprouvaient le besoin de se réunir pour satisfaire leur passion de la musique. Les plus nantis avaient pu acquérir l'instrument de leur choix. La plupart devaient leurs connaissances en musique à La Seynoise.

    Certains jours, l'assistance se renforçait d'hommes adultes qui gagnaient la salle de répétition les mains dans leurs poches, serrant sous leur bras une enveloppe cartonnée ou parcheminée contenant des partitions. Ceux-là n'étaient pas des instrumentistes, mais des chanteurs dont la voix avait été sélectionnée. Ils se réunissaient pour répéter des choeurs, affiner une cantate ou une sérénade qu'ils offriraient à la population de la Seyne ou des environs, un dimanche prochain ou à l'occasion d'une fête.

    Le quartier des Aires, à la limite de l'agglomération, convenait parfaitement à ces activités, car la pratique de la musique ou du chant choral en ces lieux ne risquait pas d'incommoder le voisinage d'autant que ces répétitions avaient lieu à des heures tardives.

    Ainsi, la Philharmonique et l'Orphéon, fondés simultanément par Marius Gaudemard, exerceront leurs activités dans ce quartier pendant plus de cinquante ans avec des fortunes diverses.

    Si La Seynoise est toujours là, l'Orphéon, par contre, a disparu, ce qui ne signifie pas que la pratique du chant choral soit abandonnée. D'ailleurs, à la fin de notre historique, nous serons amené à parler des formations nouvelles.

    Donc, au terme de ce demi-siècle d'existence au quartier des Aires, La Seynoise fut dans l'obligation de quitter son local et se fixa dans une salle de l'avenue Gambetta appelée Salle Magnaud, sans doute du nom de son propriétaire. En 1919, il fallut à nouveau chercher refuge ailleurs. C'est au Cercle des Travailleurs, place Ledru-Rollin, dans une grande salle du premier étage qu'elle put répéter. Mais il devenait difficile de cohabiter avec les usagers du Cercle et, au bout de trois ans, la Seynoise revint à l'ancien quartier des Aires qui, alors, ne portait plus ce nom. Déjà, en effet, la ville s'étendait vers le Nord-Ouest et les terrains de culture cédaient la place à de nombreuses maisons entourées de leur jardinet. Le chemin des Aires était désormais baptisé Rue François-Ferrandin dans sa partie est, l'autre extrémité ayant reçu le nom du musicien Charles Gounod (5) qui était décédé en 1893.

(5) Gounod Charles (1818-1893). Musicien français d'abord attiré par la Musique sacrée au point que, organiste et maître de chapelle, il envisagea d'entrer dans les ordres. Cependant, il débutera médiocrement dans l'opéra et l'opéra-comique, mais ne connut le succès qu'en 1859 avec Faust puis en 1864 avec Mireille, d'après le poème provençal de Frédéric Mistral et enfin en 1867 avec Roméo et Juliette. L'échec en 1881 de son dernier opéra le ramena vers la musique religieuse avec notamment le célèbre Requiem (1893).

    Sur un terrain dont elle put faire l'acquisition, et grâce à des mécènes seynois, La Seynoise, fit construire en 1922 la salle qu'elle occupe de nos jours. Elle revint donc, au terme de son périple et dans ses murs, à quelques mètres de l'emplacement où elle avait vu le jour.

    Mais quatre-vingts années s'étaient écoulées depuis, avec leurs cortèges d'embûches diverses. Elle connut certes des situations apparemment désespérées, mais aussi des heures prospères de célébrité que nous nous emploierons à conter aussi précisément que possible.

    À partir de 1922, confortablement installée chez elle à la rue Gounod, elle va traverser pendant une vingtaine d'années la période la plus stable de son existence. Mais la seconde guerre mondiale posera alors des problèmes ardus à ses responsables.

    Enfin, l'histoire du dernier demi-siècle, fertile, lui aussi, en événements de toutes sortes, nous pourrons la narrer avec beaucoup de précisions.

    Nos musiciens, les nombreux mélomanes seynois, membres honoraires et bienfaiteurs, les dirigeants animés d'une « foi à déplacer des montagnes » ont réussi à maintenir contre vents et marées une institution qui fêtera bientôt son cent soixante-dixième anniversaire. Et si le projet de Marius Gaudemard avait abouti dès 1830, c'est cent quatre-vingts ans qu'aurait notre vénérable association !

    Mais revenons-en aux premières tentatives de Marius Gaudemard.

    Après des années d'efforts méritoires, il prit langue avec les musiques militaires qui, elles, étaient autorisées (et pour cause) et trouva auprès d'elles aide et compréhension.

    En même temps, il forma lui-même des jeunes à la pratique de la musique et du chant. Sa foi dans la nécessité de l'Art musical pour le bonheur de l'homme le poussait au ventre. Et c'est la puissance de sa conviction qui devait le conduire à des succès prodigieux quelques années plus tard. On pourra alors l'appeler « Le père de La Seynoise ».

    D'ailleurs, pendant longtemps on put voir son portrait mis en montre au-dessus de la scène des répétitions. Mais les déménagements successifs et diverses dégradations ont contraint les responsables de La Seynoise à le retirer et à le mettre à l'abri dans un placard. Nous avons tenu à le restaurer ainsi que celui des présidents les plus valeureux dont l'image est parvenue jusqu'à nous, afin que leur souvenir soit perpétué et respecté par les générations montantes.

    Dès qu'il eut obtenu les autorisations requises par les règlements en vigueur, Marius Gaudemard se démena pour former et diriger simultanément la Philharmonique et l'Orphéon. La population seynoise en était fière. Elle accourait des quartiers les plus éloignés pour admirer et applaudir les premiers musiciens de la cité organisés en une formation solide et enthousiaste.

    Dans les archives de La Seynoise que ses dirigeants ont conservées religieusement, on peut trouver la médaille la plus ancienne gagnée à Toulon lors d'un concours organisé au quartier Saint-Roch. Elle porte le millésime de 1843.

    Marius Gaudemard puisa dans ce premier succès un encouragement pour persuader ses concitoyens d'apprendre la musique. Il l'aida également à recruter des jeunes gens, des enfants, même, qui apprirent le solfège, car il fallait bien commencer par là, malgré les désagréments que l'on éprouve au début de cet apprentissage.

    Les semaines et les mois passaient et progressivement l'organisation se structurait. Il faut bien souligner que Marius Gaudemard occupa toutes les fonctions. Son activité débordante lui permit d'être à la fois le Président de La Seynoise, le Directeur administratif des formations et le chef d'orchestre.

    Puis, forçant l'admiration, son exemple entraîna les bonnes volontés. De précieux collaborateurs vinrent alléger sa tâche. Ainsi, pendant des années, la Philharmonique et l'Orphéon apportèrent dans notre ville une ambiance de liesse en maintes occasions.

Mais l'association se devait de respecter rigoureusement les règles en vigueur. Les autorités surveillaient de près les activités de groupements semblables qui auraient pu susciter des enthousiasmes contraires aux désirs de Sa Majesté.

    Si La Seynoise devait jouer une aubade sous les fenêtres de son président, à l'occasion de son anniversaire, il lui fallait écrire à Monsieur le Maire, en usant de formule de politesse d'une servilité que nous jugeons bien déplacée aujourd'hui. Cette soumission aux autorités était encore plus marquée si l'on s'adressait à l'Armée ou à la Marine. Voici un exemple précis puisé dans la correspondance du Président qui s'adresse à Monsieur l'Amiral, gouverneur de la place de Toulon pour solliciter l'autorisation d'un concert sur la place d'Armes. Il termine ainsi sa lettre :

    «... Dans l'attente, Amiral, que votre très grande bonté ne saurait nous refuser cette faveur, veuillez recevoir avec nos plus chaleureux remerciements, l'hommage le plus respectueux de vos très humbles et tout dévoués serviteurs ».

    Pendant plusieurs années, nos musiciens ne s'éloignèrent pas beaucoup de La Seyne. Il faut dire que les moyens de communication, pas plus que les moyens de transport, n'étaient développés. Et les ressources de La Seynoise ne permettaient guère de largesses. Les omnibus et les pataches étaient jugés souvent trop chers par les musiciens, de condition modeste pour la plupart.

 

Le Second Empire - Incertitudes, vicissitudes

    Si, avec la proclamation du gouvernement républicain en 1848 on pouvait escompter des encouragements concrets pour le développement de l'Art musical, il fallut déchanter après le Coup d'État de 1851.

    Des poursuites furent engagées contre de nombreux Seynois opposés à la dictature napoléonienne. Relevons au passage les noms de Laurent Laville, Célestin Tisot, Sauveur Peter, François Bernard, Pierre Daniel, Joseph Décugis, Pierre Girard. D'autres, comme Jacques Laurent, Joseph Rousset et Cyrus Hugues, furent déportés en Algérie.

    Il est compréhensible que dans cette atmosphère de répression et de suspicion, la population seynoise ne recherchait guère les festivités. Les violences que connut particulièrement notre département du Var n'incitaient pas les musiciens à se donner en spectacle. Et puis, la plupart, Républicains dans l'âme, n'auraient pas admis que La Seynoise se mît au service d'une municipalité qui obéissait servilement à l'Empereur Napoléon III.

    Les autres formations musicales comme La Six-Fournaise ou La Fanfare Mussou, à La Garde, qui naquirent en 1850, eurent les mêmes réactions. Jusque-là, La Seynoise et La Jeune France de Toulon se rendaient visite et organisaient en commun des festivals qui faisaient accourir les foules. Mais en ces temps de dictature, on n'en était plus à la confiance et à l'amitié, à la joie et à l'enthousiasme. La méfiance et la morosité tenaient le haut du pavé.

    Alors, La Seynoise, comme la plupart des autres formations similaires, entrèrent en léthargie pendant plusieurs années. Pour éviter des poursuites, un bon nombre de membres de l'association s'étaient expatriés. L'heure n'était plus à l'optimisme.

    Marius Gaudemard ne pouvait accepter sans mot dire une telle situation. Il trouva le moyen de rassembler quelques exécutants et chanteurs et créa La Société des Flâneurs. C'était sa manière de permettre à La Seynoise de poursuivre sa tâche.

    Il faut pourtant dire que les premières années qui suivirent le Coup d'État de 1851, on ne vit pas beaucoup La Société des Flâneurs se manifester. En 1858, elle deviendra L'Orphéon des Flâneurs qui eut l'occasion de montrer la qualité de ses artistes en participant à un grand festival de charité organisé à Toulon par L'Orphéon Piffart. Le Président Gaudemard en revint tout fier avec une médaille en argent qu'on s'empressa d'épingler au drapeau de la société. C'était la seconde récompense obtenue sous la présidence du fondateur.

 

Les Fêtes de Charité

    L'association vivotait, se manifestait à l'occasion de cérémonies officielles et plus généralement d'oeuvres humanitaires.

    Il faut dire qu'en cette fin du XIXe siècle, où la grande industrie prenait son essor, la population laborieuse, elle, était sans défenses et sans recours contre les terribles fléaux des maladies que la science ne savait pas encore guérir, contre le chômage qui n'était pas indemnisé et contre les accidents du travail qui laissaient l'ouvrier infirme et sans ressources. Une misère effroyable régnait, surtout dans les cités industrielles comme la nôtre. Alors, pour soulager les infortunés, les sociétés artistiques organisaient souvent ce qu'on appelle des Fêtes de Charité au profit des plus malheureux. Ce fut l'une des activités les plus notables de La Seynoise et de L'Orphéon des Flâneurs au cours de cette période.

    Les années passaient et, en cette fin du Second Empire, les guerres coloniales, les expéditions de Chine, de Cochinchine et du Mexique causèrent bien des ravages dans les familles. Il n'est pas rare de trouver dans le courrier des présidents de La Seynoise d'alors des lettres de jeunes musiciens partis en campagne en Algérie ou ailleurs. La durée de service militaire ayant été portée jusqu'à sept ans, on comprend les difficultés énormes que rencontraient les dirigeants pour faire vivre leur association.

 

1865, une année terrible

    L'année 1865 peut être qualifiée de terrible en raison d'une épidémie de choléra qui fit de nombreuses victimes et répandit la consternation dans la ville et dans ses environs.

    Ce n'était pas la première fois que notre région subissait l'atteinte d'une pareille calamité. En 1835 et en 1845, le choléra avait déjà frappé sans toutefois faire de grands ravages.

    Il en fut autrement en 1865 où près de CINQ CENTS de nos concitoyens devaient périr en quelques mois. Cela va sans dire, la grande famille de La Seynoise déplora la disparition de quelques-uns de ses membres.

    Toute activité cessa et la ville se vida pour longtemps. Le chantier de construction navale cessa de fonctionner pendant plusieurs mois. On se doute qu'il en alla de même pour les groupements divers dont La Seynoise. Il n'était plus question de chanter ni d'organiser des manifestations artistiques, des concours, des rencontres ou des réjouissances quelconques.

    Mais l'année suivante, le danger s'éloignant, notre valeureux Marius Gaudemard se remit courageusement à sa tâche et s'efforça de regrouper ses musiciens et ses chanteurs. La chose fut malaisée, mais un autre danger menaça alors l'association qui se reconstituait : les basses intrigues.

 

La Seynoise et les pères Maristes

    Le régime impérial trouva un appui solide auprès du clergé qui vit en lui un moyen de reconquérir des privilèges que la République lui avait enlevés.

    En contrepartie, Napoléon III ne fut pas un ingrat. Pour se cantonner à l'exemple seynois, il aida puissamment l'enseignement confessionnel à qui les crédits ne firent pas défaut pour le développement de l'Institution Sainte-Marie qui avait été ouverte en 1849 et pour la création de l'Externat Saint-Joseph en 1852. En 1858, ce sera le couvent de La Présentation qui sera édifié pour les jeunes filles.

    En même temps, le pouvoir impérial exerçait sur les associations, de quelque nature qu'elles soient, une surveillance jalouse. Marius Gaudemard en était bien conscient qui ne transgressa jamais les lois en vigueur.

    Les pères Maristes de La Seyne formèrent un certain nombre de musiciens. Pas assez, cependant, pour constituer un orchestre valable. Alors ces instrumentistes proposèrent aux quelques anciens de La Seynoise que Marius Gaudemard s'efforçait de regrouper, une fusion des deux formations pour constituer un orchestre de bonne tenue.

    Mais - car il y avait une condition - ils posaient en préalable que ce soit un des leurs qui assure la direction des musiciens.

    Des discussions s'engagèrent. Il faut reconnaître que la position de Marius Gaudemard était inconfortable. Ses musiciens n'admettaient pas que le fondateur de la première association artistique, le père de la Musique à La Seyne, laisse sa place à un autre ! C'était lui, le guide, et pas un de ces hommes qui devaient paraître suspects aux Républicains qui constituaient alors La Seynoise.

    Les musiciens des Maristes défendaient la candidature de M. Henri Blanc. Les discussions ne pouvaient s'éterniser. Une solution devait être trouvée et Marius Gaudemard, animé des meilleurs sentiments, souhaitait avant tout une bonne entente. Son objectif était, à l'exclusion de tout autre mobile, le développement de l'Art musical.

    Peut-être, aussi, au soir de sa vie, le poids des ans émoussait-il cette combativité qui lui avait fait porter à bout de bras l'association qu'il avait fondée.

    Il ne défendit pas sa candidature, mais proposa celle d'un ancien chef de fanfare militaire, M. Victor Noble (6) qui avait exercé ses fonctions en Indochine dans un régiment d'Infanterie de Marine.

(6) Noble Victor est l'auteur de quelques créations musicales qui figurent au répertoire de notre Philharmonique. Citons : Le chant du soir (air varié), Le Chant des sirènes (fantaisie), La Seynoise (pas redoublé).

    L'accord se fit sur cette candidature, comme il se fit sur la proposition que la nouvelle formation conserverait le nom de La Seynoise.

    On désigna, pour seconder le président, un sous-chef, M. Lions, virtuose du cornet à piston.

    Ainsi restructurée, La Seynoise aurait pu prendre un nouvel essor, mais il fallut compter avec des événements imprévus.

 

La mort du Président

    Le 11 avril 1870, Marius Gaudemard s'éteignait dans son hôtel du grand môle.

    On devine aisément combien cet homme de bien qui consacra la majeure partie de sa vie au développement de l'Art musical fut regretté par ses musiciens et ses contemporains. Depuis 1840, trente années de sa vie avaient été vouées à la musique, au chant, pour lesquels il éprouva une véritable passion.

    Animateur incomparable, il ne se laissa jamais ébranler dans sa foi par les obstacles pourtant nombreux qu'il dut surmonter.

    Merci, Monsieur Marius Gaudemard, pour votre dévouement à la belle cause que vous avez défendue. Votre souvenir reste attaché à votre ville natale.

 

Interdiction

    Après la disparition du père de La Seynoise, L'Orphéon des Flâneurs qu'il avait fondé dans une période de répression continua ses activités sous le nom d'Orphéon Gaudemard. Nous avons pu trouver un certificat délivré par le Maire de La Seyne, Pierre Lacroix, daté du 19 septembre 1869, où figurent les noms des membres qui composaient l'orphéon. Il s'agit de messieurs :

    Abel, Arene, Argentery, Artaud, Barles, Benigne, Bensa, Bithouzet, Bonifay, Boutant, Noyer, Dalmas, Gasquet, Gastaud, Gastonnet, Grue, Guieu, Jouven, Laugier, Laurent, Mabily, Maïsse, Martinenq, Maurras, Michel, Mourron, Napoléon, Natta, Niel, Olive, Perruchet, Pignatel, Plane, Queyrel, Reboul, Riquier, Robert, Rousset, Roux, Servies, Silvy et Tourre.

    À la perte cruelle de Marius Gaudemard allait s'ajouter en cette même année 1870, la disparition du sous-chef, Monsieur Lions, emporté par la variole noire sur le front allemand.

    Mais 1870, c'est surtout le désastre d'une guerre qui laissa la France dans le chaos. Cette tourmente entraîna La Seynoise qui disparut momentanément.

    Puis la honteuse capitulation de Sedan provoqua la chute de l'Empire et la proclamation de la République, le 4 septembre 1870.

    Le nouveau gouvernement tenta courageusement de faire échec à l'invasion ennemie, mais il fut dans l'obligation de conclure un armistice le 28 janvier 1871. C'est alors que Paris éminemment patriote et républicain devait se soulever et ce furent les événements de La Commune. On sait que ce gouvernement révolutionnaire ne dura que du 28 mars au 28 mai 1871 et qu'Adolphe Thiers, chef du pouvoir exécutif, l'écrasa dans le sang.

    Pendant plusieurs mois, la lutte entre les révolutionnaires et les tenants du Pouvoir allait être extrêmement sévère. Des villes de province comme Marseille vont tenter, mais en vain de se doter d'un gouvernement calqué sur le modèle de la Commune de Paris. Notre région va alors connaître une grande agitation.

    Tout cela explique les mesures d'interdiction prises à l'encontre d'associations de quelque nature qu'elles soient.

    Car La Seynoise n'est pas alors la seule association de notre localité. En 1848, la Seconde République triomphante avait permis la création de Cercles que l'on appelait aussi des Chambrées. Il en existait plusieurs à La Seyne. C'étaient des lieux de réunion où se rassemblaient les hommes dans des buts très divers : politiques, artistiques, récréatifs, philosophiques ou philanthropiques. Il s'avérait d'ailleurs qu'avec le développement de l'instruction publique, la vie associative devenait une nécessité pour la population.

    Le Coup d'État de 1851, nous l'avons vu, mit un coup d'arrêt au développement de la vie associative. Les autorités tolérèrent quelques groupements, mais ils firent alors l'objet d'une surveillance des plus attentives. Et voilà qu'à la fin du mois d'août 1870 une circulaire préfectorale parvint à la Mairie en exécution d'un ordre du Général d'Aurelle, commandant de division dont le Quartier général était à Marseille. Cette circulaire prescrivait la fermeture de toutes les chambrées de la commune. Une association comme La Seynoise tombait sous le coup de cette décision qui prescrivait :

    « Ces chambrées seront interdites en raison du danger qu'elles pouvaient présenter par leur esprit révolutionnaire ».

    Fort heureusement, cette période fut de courte durée et, le calme revenu, La Seynoise put reprendre ses activités.

 

Le renouveau

    Monsieur Noble fut remplacé par Monsieur Chivassa qui assura la direction de la Musique pendant trois ans. En 1874, Monsieur Henri Blanc - le même qui avait été proposé en 1866 par les Maristes - se fit admettre comme chef de Musique pendant sept ans. En mai 1878, Monsieur Albert Monestel, membre exécutant, accéda à la présidence.

    Les lois sur les associations ayant été modifiées au fil des ans, il fut nécessaire, la même année, de déposer de nouveaux statuts à la Sous-Préfecture. La société reçut alors une véritable existence officielle.

    Ses buts étaient clairement définis par l'article deux qui précise que La Seynoise est créée pour faire de la Musique, en propager la pratique et la connaissance et former des élèves par l'étude et l'exécution d'oeuvres musicales. En outre, les statuts prévoient de donner des concerts pour l'agrément de la population et de prêter son concours à des oeuvres patriotiques et humanitaires.

    Sur ces principes, notre philharmonique devait prendre un essor nouveau. D'ailleurs, le nombre de ses adhérents et de ses exécutants allait croissant.

    Le régime de la IIIe République, proclamé le 4 septembre 1870, assainit l'atmosphère. Des libertés nouvelles furent accordées aux citoyens et contribuèrent beaucoup à créer un climat de confiance et d'espérance.

    Partout, à travers le pays, des musiques, des fanfares, des orphéons, des estudiantines, des clubs, se multipliaient, offrant ainsi à la jeunesse des joies saines. Les sociétés se rendaient visite, organisaient des excursions, des concours. Malgré la lenteur des moyens de communication, malgré l'inconfort des moyens de transport, ces déplacements donnaient lieu à des réjouissances mémorables et la langue provençale, alors langue bien vivante, ajoutait au pittoresque des tenues vestimentaires. On a plaisir à évoquer ces joyeuses assemblées de Seynois endimanchés, portant chapeaux melons ou canotiers, crinolines et souliers à boutons, qui traversaient les villages en chantant, s'y arrêtaient pour danser et à qui les paysans offraient les meilleurs produits du terroir. En échange, nos musiciens suscitaient une effervescence généreuse en répandant les notes harmonieuses de leurs concerts.

    Ainsi naissaient des sentiments fraternels qui se perpétuaient, chacun ne ménageant ni son temps ni sa peine - et encore moins son souffle ! - sachant bien qu'il apportait la joie, le bonheur et la bonté.

 

Premiers succès

    Dans le courant de l'été 1879, pour prendre un exemple, La Seynoise participa le 6 juillet à un important festival de charité à Toulon, le 13 à une manifestation semblable qui se déroula à La Seyne, le 3 août, elle joua à Sanary et le 10 à Ollioules. Le 17 août, elle était à Six-Fours et le 24 à La Ciotat.

    Six sorties dans un seul été ! Il est vrai que la saison s'y prêtait, mais une telle cadence témoignait d'une excellente vitalité.

    L'année suivante, le rythme ne retomba pas. Le 20 juin, un festival est organisé à Toulon. Le 4 juillet, à l'occasion des fêtes locales, c'est à La Seyne qu'un autre festival rassemblera les musiques. Le 8 août, nos musiciens se rendent à Ollioules, tandis que le 20 ils reçoivent La Six-Fournaise.

    Arrêtons là cette énumération qui, quoique incomplète, montre bien que La Seynoise est en plein essor.

 

Des difficultés dans l'administration

    Le président de l'époque était M. Albert Monestel. Il anima ce renouveau, mais, au bout de cinq ans, il dut renoncer à ses fonctions.

    Les archives écrites se rapportant à cette période ne nous permettent pas d'apporter plus de précisions sur les convulsions qui vont secouer les structures de La Seynoise en cette fin de siècle.

    En 1881, M. Colotencier qu'on appelait familièrement Colot, ancien chef de Musique militaire, fut nommé chef de musique et assuma cette charge trois ans seulement tandis que M. Gaita remplaça M. Monestel à la présidence.

    Cette succession rapide d'hommes aux postes de responsabilité ne pouvait qu'engendrer des flottements dans la gestion de l'association. L'historique écrit par M. Guinchard nous apprend que l'administration de M. Gaita faillit tourner à la catastrophe. Lorsqu'en janvier 1887 son successeur, M. Crozet, prit en main les affaires de La Seynoise, la situation était quasiment désespérée, surtout sur le plan financier.

    C'est que l'association se réunissait toujours au quartier des Aires, dans la salle Marcelin Coupiny que son propriétaire louait pour les fêtes de famille. Le trésorier de La Seynoise indique dans un rapport que le loyer de la salle s'élevait à quarante-cinq francs par mois. Il fallait ajouter à cela l'indemnité perçue par le chef d'orchestre qui était de cinquante francs par mois. On comprend alors l'angoisse de ce brave homme qui ne recevait alors en ressources propres que les cinquante centimes de cotisation par membre honoraire, qui ne produisaient que trois francs quinze centimes par mois. Comment, dans ce cas, faire face aux dépenses ci-dessus énoncées ?

    Trois mois après sa nomination, estimant sans doute que le redressement de la situation était au-dessus de ses forces, M. Crozet démissionna. Lui succéda M. Henri Ducas qui parvint l'année suivante à améliorer quelque peu la situation financière. L'avoir de l'association s'éleva alors à quatre-vingts francs et cinq centimes. Mais il n'y avait pas lieu de chanter victoire.

    L'administration de La Seynoise traversait une période de crise aiguë comme cela se produit parfois dans le fonctionnement des associations ou des collectivités publiques ou privées. Depuis qu'avec de nouveaux statuts, elle avait été reconstituée en 1878, elle avait remporté quelques succès notables, mais à présent, elle retombait dans l'inaction.

    Eurent également lieu des mutations de chefs d'orchestre. En 1884 et 1885, c'est Louis Silvy qui assuma cette fonction.

    Notons au passage que la famille Silvy très honorablement connue de nos concitoyens a apporté à La Seynoise un important tribut à son prestigieux bilan.

    En 1886 et 1887, c'est M. Baston, ancien chef de musique des bateaux amiraux de la Flotte qui succéda à Louis Silvy.

    Malgré les difficultés qu'elle rencontrait, La Seynoise faisait tout de même parler d'elle. Elle obtint ainsi une médaille en bronze et une médaille en argent aux festivals organisés à La Seyne en 1886 et une médaille de vermeil au festival de Bandol le 17 juillet 1887.

 

Retour à la stabilité

    Puis La Seynoise va connaître une période de stabilité grâce à trois événements locaux.

    En 1886, des élections municipales sort une nouvelle équipe que dirige Saturnin Fabre qui s'intéresse, mieux que ses prédécesseurs, au développement de l'Art musical. Le nouveau Maire dont les Seynois n'ont pas toujours su apprécier les qualités, ce que nous démontrerons plus loin, attribua à La Seynoise une subvention de DEUX CENTS FRANCS.

    Ses adversaires politiques ne voulurent voir dans ce geste qu'une manoeuvre électoraliste. Mais il est évident qu'en retour, les musiciens encouragés feraient de leur mieux pour donner aux réjouissances populaires un éclat remarquable.

    Le second événement, qui allait donner un élan nouveau à la philharmonique, fut l'arrivée à la direction musicale de Monsieur Marius Silvy, un homme remarquable par son talent et sa volonté, qui tiendra dans l'histoire de la société, une place considérable, puisqu'il occupera les fonctions de chef d'orchestre pendant TRENTE TROIS ANS.

    Le Conseil d'administration de l'époque avait décidé de lui attribuer une subvention de trente francs par mois que, d'ailleurs il ne put percevoir que deux ans après la décision. On voit bien que Marius Silvy ne se montrait pas exigeant sur l'indemnisation de ses services. il était avant tout passionné d'Art musical et son passage au pupitre de chef d'orchestre pendant plusieurs décennies - de 1889 à 1922 exactement - permettra à La Seynoise, comme on le verra par la suite, d'atteindre les sommets de la célébrité.

    Restait maintenant à améliorer la situation financière.

    Après la présidence éphémère de Marius Pons, en 1889, qui se trouva, lui aussi, devant des finances désastreuses, les membres de la société décidèrent de confier à l'un de leurs collègues la direction provisoire de leurs affaires, avec, pour mission prioritaire, le redressement de la gestion.

    Cette tâche délicate fut confiée à Charles Schivo, un membre exécutant qui jouait de la basse et auquel on doit rendre un hommage particulier pour les services éminents qu'il a rendus à l'association. Il apporta en effet son concours le plus total, occupant des postes divers durant CINQUANTE TROIS ANS ET NEUF MOIS. (Voir notice biographique dans la rubrique documents divers).

    Avec ce redressement, s'achevait une période d'un peu plus d'un demi-siècle, dont on peut dire qu'elle fut les premiers pas d'une association qui, dans la dernière décennie du XIXe siècle, allait voir son existence prendre un tournant décisif avec l'accession à la présidence d'un homme remarquable : Monsieur Léon Gay.


Lire la suite : Chapitre II



Retour au Sommaire de l'Histoire de La Seynoise

Retour à la page d'accueil du site internet de La Seynoise

Accès au site de Marius et Jean-Claude AUTRAN

Marius AUTRAN

Histoire de la philharmonique La Seynoise
Cent soixante-dix ans de passion musicale (1840-2010)

© Marius Autran 1984
© Jean-Claude Autran 2010