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(*)
Seynois d’origine, devenu comédien, humoriste, acteur de
théâtre et de cinéma, puis écrivain,
malheureusement décédé quelques mois seulement
après avoir écrit cette préface, le 6 août
2011.
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Si on
parle à quelqu’un qui n’est pas originaire de La
Seyne de « La Seynoise », il en déduira qu’on
fait allusion à une habitante de la ville peuplée de
Seynois et de Seynoises. En réalité, il n’en est
rien. « La Seynoise » c’est une musique, une
philharmonique née en 1840 et qui est la plus ancienne de la
région. Elle est l’une des trois plus anciennes de France.
Mais n’en disons pas plus puisque cet ouvrage va vous conter sa
prestigieuse histoire. Ce n’est que par la suite, en 1922, son
siège actuel ayant été construit rue Gounod,
qu’on la considérera comme salle de musique et salle des
fêtes apte à accueillir toutes sortes de manifestations.
« La Seynoise » a même été la salle de
spectacle qui a vu les débuts d’Henri Tisot, mes
débuts.
Cela dit,
d’aussi loin qu’il me souvienne, tout avait
débuté ailleurs, bien avant et dans le sang, oui, dans le
sang ! Je devais avoir cinq ou six ans et avec les élèves
de ma jeune classe de l’école Sainte Thérèse
de l’Enfant Jésus qui se trouvait à
l’époque, rue d’Alsace, nous devions participer
à un exercice d’élèves sur la scène
de « La maison du peuple ». On voit encore le nom de cette
salle, sur la gauche, lorsque l’on monte vers le
cimetière, et qu’on longe le grand parking Martini sur la
droite. Nous devions chanter en cœur : « Voici les roses de
mon rosier, dans un panier, dans un panier… » Et geste
à l’appui, on devait semer des pétales de roses
pris dans le panier que chacun nous tenions, et on devait projeter ces
pétales comme des graines vers le public. Ma mère
m’avait fait confectionner spécialement pour
l’occasion, une chemisette de couleur vert amande sur laquelle
étaient brodées des raquettes de tennis dont le joli
tissu jade était parsemé. On m’avait même
conduit à Toulon chez « Rosa », le photographe en
renom pour garder un souvenir de cette tenue. Et voilà
qu’en scène, en plein milieu du chant, je saigne du nez.
On m’évacue et on me conduit « dare-dare »
dans le jardin où se trouve un robinet d’eau froide et
Toinet, la bonne à tout faire de ma grand-mère qui
m’assiste, tente d’endiguer le flot de sang qui macule ma
jolie chemisette. Elle place sur ma nuque un mouchoir trempé
dans l’eau froide. Rien n’y fait. Quand enfin, le sang
cesse de couler de mon nez, on retourne d’où l’on
était venu mais c’était trop tard, l’exercice
d’élèves était fini. J’avais
loupé mes débuts d’artiste.
Ce sera
partie remise, plus tard et à « La Seynoise »,
partie de cartes très exactement.
Là
aussi, il s’agissait de l’exercice
d’élèves de fin d’année de la classe
du brevet. J’avais alors quinze ans en 1952. Après les
classes de cours élémentaire (les appellations
n’ont plus guère cours à notre époque, mais
ma mémoire les a gardées intactes), j’avais
été admis « en moderne », en sixième
très exactement et dans la classe de Marius Autran. J’ai
gardé de lui un souvenir tout particulier.
Autant les
professeurs qui furent les miens en même temps que Monsieur
Autran, étaient tous sujets à moqueries de notre part,
nous, les élèves, ou de critiques tout aussi bien, autant
Monsieur Autran ne paraissait pas « discutable » à
nos jeunes yeux. Monsieur Autran n’avait pas de tic comme
Monsieur Turquay le professeur de français qui disait «
chut » - « chut-chut » à tout bout de champ,
134 dans l’heure de la leçon. Monsieur Autran ne nous
faisait pas peur comme Monsieur Dary, le professeur de
mathématiques qui entretenait la terreur, il n’arborait
pas une cravate différente à chaque cours comme Monsieur
Faber, le professeur d’anglais et, à l’inverse de
Monsieur Laure, le professeur de sciences naturelles, il ne faisait pas
de grands gestes qui mettaient en joie toute la classe. Il
n’avait pas non plus comme le professeur d’histoire,
Monsieur Muraccioli, Corse, de prétention communautariste, bref,
Monsieur Autran, faisait figure à nos yeux d’un «
prof »… normal ! On ne pouvait rien trouver à lui
redire. Il avait l’art de traiter ses élèves comme
des êtres ayant le même âge que lui et du coup,
dépouillés de nos rôles
d’élèves, on se tenait tout naturellement à
carreau si je puis dire. Je ne dis pas cela pour faire plaisir à
son fils, je le dis parce que je le pense réellement. Pour ce
qui est des autres professeurs, j’usais déjà de mon
talent d’imitateur et je faisais rire tous mes camarades lors des
récréations en mettant en exergue leurs tics. Du coup,
les professeurs qui avaient ouï-dire que je les imitais ne
s’aventuraient plus à m’interroger, craignant de
déchaîner l’hilarité. J’avais
trouvé le moyen de me protéger, de me
caparaçonner, de me mettre à l’abri, bien que
quelquefois je souhaitais être convoqué au tableau en
levant le doigt, mais les profs faisaient mine d’ignorer mes
demandes.
J’ai
souffert tout jeune d’un embonpoint qui me différenciait
de mes autres camarades, lesquels ne se gênaient guère
pour me rappeler à divers moments de la journée mon
état : « gros plein de soupe - gros lard - «
boudenffle » - bonbonne », j’en passe et des pires.
Et lorsque j’étais tout particulièrement mis sur la
sellette et agressé et qu’un de mes soi-disant copains se
précipitait sur moi, c’est encore l’imitation qui me
sauvait la mise. En effet, tandis que l’agresseur tentait de
m’impressionner par une attaque inattendue, il me suffisait de
prendre la même posture que lui pour le désarçonner
dans son élan.
En imitant
son geste menaçant, je prenais sa place et tandis
qu’autour on s’esclaffait, attaqué que
j’étais, je devenais attaquant. C’était
pratique !
Donc, pour
la fête de fin d’année, après
l’obtention du BEPC (brevet d’études du premier
cycle), il avait été convenu que notre classe de
troisième donnerait sur la scène de « La Seynoise
», la célèbre partie de cartes de « Marius
» de la fameuse Trilogie de Pagnol «
Marius-Fanny-César » et j’avais été
désigné étant donné mes succès en
récitation, pour interpréter le rôle de Panisse.
Très vite je compris que j’allais y exceller pour la bonne
raison que j’imitais à la perfection Charpin qui a
créé le rôle auprès de Raimu dans le film
« Marius » mis en scène par Alexander Korda en 1931.
Or, mon grand-père Louis Tisot était féru
d’enregistrements, tant d’opéras que de
succès du moment et il me passait sur son phonographe, le disque
en cire de la partie de cartes à tout bout de champ.
D’ailleurs, lui seul, selon ma grand-mère Marguerite,
avait le droit de remonter le mécanisme du phono, personne
d’autre ne devait y toucher. Les trois films cités
faisaient les délices des Seynois chaque fois qu’ils
étaient programmés à l’Odéon, ou bien
au Rex, les deux cinémas de la ville. « Fanny » a
été mis en scène par Marc Allégret et
« César » par Pagnol lui-même. Bref,
j’ai été nourri de Pagnol dès mon jeune
âge.
C’est Monsieur Troubat, le professeur de gymnastique, qui avait
en charge les répétitions qui s’opéraient le
plus souvent dans une salle qui se trouvait en sous-sol de
l’école Martini d’alors, dont le directeur
était Monsieur Malsert lequel était
particulièrement craint. On ne le croisait qu’avec
déférence.
Enfin, le soir de la représentation arriva, j’étais
coiffé comme l’était Charpin dans le film,
d’un chapeau mou beige et mon ventre avait été
emprisonné et enroulé dans une taillole de la même
couleur. Et ce qui devait arriver arriva !
Je
n’obtins pas un succès, mais un triomphe. Le lendemain,
les clients de la pâtisserie familiale firent des gorges chaudes
à ma mère de mon interprétation : « Mon
Dieu, madame Tisot, votre fils !...C’était le portrait
craché de Charpin. Ce qu’il l’a bien refait. On
aurait dit lui ! C’est un artiste votre fils! ».
C’est après cette soirée que les filles de
l’école Curie qui ne me regardaient pas
jusqu’à présent, commencèrent à me
faire de légers, de très légers clins
d’œil qui me mettaient du baume au cœur. Tout cela je
le dois à « La Seynoise » ! C’en était
fait, ma carrière artistique pouvait commencer.
Il est
à remarquer d’ailleurs qu’elle débuta
à « La Seynoise » par une imitation au service de la
comédie, et cela se produisit à l’inverse plus tard
lorsque de la Comédie Française où je fus
engagé à 20 ans comme Pensionnaire, je basculais de la
comédie dans l’imitation du général de
Gaulle.
Et encore
bien plus tard, en 2000, je fus engagé auprès de Roger
Hanin dans la même Trilogie de Pagnol pour jouer auprès de
lui le rôle de Panisse. Mais là, je n’eus plus
besoin d’imiter Charpin, c’est Tisot qui s’exprimait
jusqu’à devenir Panisse en personne selon le public.
Fernand
Charpin, créateur du rôle d’Honoré Panisse,
était né le 1er juin 1887 et moi, je suis né le
1er juin 1937. Il est des coïncidences qui demeurent troublantes
pour ne pas dire abusives comme se plaisait à les
désigner Louis Pauwels.
Toujours
est-il qu’aujourd’hui, tandis que je regarde en
arrière, je considère que ma vie prit sa véritable
direction après cette soirée mémorable de «
La Seynoise » en 1952 si je ne me trompe pas. A la suite de quoi,
j’entrais au Conservatoire de Toulon où j’appris les
bases de ce qui allait être mon métier de comédien
avec Armand Lizzani, puis je prenais bientôt le train pour Paris
en 1955 et entrais au Conservatoire d’Art dramatique dans la
classe de Béatrix Dussane. Après les concours de sortie,
j’obtins un second prix de comédie classique dans
Sganarelle de « Dom Juan » de Molière et un second
prix de comédie moderne dans « La femme du boulanger
» de Marcel…. « Pagnol, Pagnol, quand tu nous
tiens… »
Je fus
alors engagé comme Pensionnaire à la Comédie
Française en 1957 (j’avais 20 ans) où
j’allais demeurer jusqu’en 1960. Puis, ça allait
être le tournage pour la télévision, l’ORTF
d’alors, du feuilleton « Le Temps des copains »
où je campais Lucien Gonfaron, qui reste dans la mémoire
collective des Français, et en même temps
l’imitation du général de Gaulle, chef de
l’État, qui allait me propulser au firmament grâce
à « L’Autocirculation » dont un million de 45
tours furent vendus, lesquels brocardaient la politique
algérienne de « l’Autodétermination »
du général de Gaulle.
C’est véritablement après la mémorable
soirée de « La Seynoise », au cours de laquelle
j’acquis un certain prestige grâce au rôle de Panisse
que je compris que le fait d’enfourcher un autre personnage que
le sien, permettait de faire route, de faire carrière, bref,
d’aller plus loin que l’on aurait pu aller soi-même
et tout seul. Il faut imiter plus grand que soi pour
véritablement avancer dans la vie. J’ai donc pris pour
habitude de me faire accompagner de tous les rôles que
j’étais capable d’endosser. Gandhi a dit : «
On devient ce qu’on admire ».
Il
m’arrive de m’interroger : que serait-il advenu de moi sans
cette soirée à « La Seynoise » qui m’a
propulsé vers mon avenir avec tout ce qu’il a
comporté qui n’est certes pas commun ? Sans doute
n’aurais-je pas su ou pu prendre le dessus sur les complexes que
m’imposaient mon physique et j’aurais rongé mon
frein à La Seyne sans avoir la possibilité de sortir de
cette chrysalide que j’eus la riche idée
d’abandonner dans le train qui me conduisit à Paris, de
telle sorte que, débarquant sur le quai de la gare de Lyon,
j’étais un homme neuf. Il ne me restait plus
qu’à devenir celui que je suis devenu : Henri Tisot.
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