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de l'Histoire de La Seynoise
Marius AUTRAN
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Histoire de la philharmonique La Seynoise

Cent soixante-dix ans de passion musicale
(1840-2010)
Préface de la nouvelle édition (2010)
par Henri Tisot (*)

(*) Seynois d’origine, devenu comédien, humoriste, acteur de théâtre et de cinéma, puis écrivain, malheureusement décédé quelques mois seulement après avoir écrit cette préface, le 6 août 2011.

  

    Si on parle à quelqu’un qui n’est pas originaire de La Seyne de « La Seynoise », il en déduira qu’on fait allusion à une habitante de la ville peuplée de Seynois et de Seynoises. En réalité, il n’en est rien. « La Seynoise » c’est une musique, une philharmonique née en 1840 et qui est la plus ancienne de la région. Elle est l’une des trois plus anciennes de France. Mais n’en disons pas plus puisque cet ouvrage va vous conter sa prestigieuse histoire. Ce n’est que par la suite, en 1922, son siège actuel ayant été construit rue Gounod, qu’on la considérera comme salle de musique et salle des fêtes apte à accueillir toutes sortes de manifestations. « La Seynoise » a même été la salle de spectacle qui a vu les débuts d’Henri Tisot, mes débuts.

    Cela dit, d’aussi loin qu’il me souvienne, tout avait débuté ailleurs, bien avant et dans le sang, oui, dans le sang ! Je devais avoir cinq ou six ans et avec les élèves de ma jeune classe de l’école Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus qui se trouvait à l’époque, rue d’Alsace, nous devions participer à un exercice d’élèves sur la scène de « La maison du peuple ». On voit encore le nom de cette salle, sur la gauche, lorsque l’on monte vers le cimetière, et qu’on longe le grand parking Martini sur la droite. Nous devions chanter en cœur : « Voici les roses de mon rosier, dans un panier, dans un panier… » Et geste à l’appui, on devait semer des pétales de roses pris dans le panier que chacun nous tenions, et on devait projeter ces pétales comme des graines vers le public. Ma mère m’avait fait confectionner spécialement pour l’occasion, une chemisette de couleur vert amande sur laquelle étaient brodées des raquettes de tennis dont le joli tissu jade était parsemé. On m’avait même conduit à Toulon chez « Rosa », le photographe en renom pour garder un souvenir de cette tenue. Et voilà qu’en scène, en plein milieu du chant, je saigne du nez. On m’évacue et on me conduit « dare-dare » dans le jardin où se trouve un robinet d’eau froide et Toinet, la bonne à tout faire de ma grand-mère qui m’assiste, tente d’endiguer le flot de sang qui macule ma jolie chemisette. Elle place sur ma nuque un mouchoir trempé dans l’eau froide. Rien n’y fait. Quand enfin, le sang cesse de couler de mon nez, on retourne d’où l’on était venu mais c’était trop tard, l’exercice d’élèves était fini. J’avais loupé mes débuts d’artiste.

    Ce sera partie remise, plus tard et à « La Seynoise », partie de cartes très exactement.

    Là aussi, il s’agissait de l’exercice d’élèves de fin d’année de la classe du brevet. J’avais alors quinze ans en 1952. Après les classes de cours élémentaire (les appellations n’ont plus guère cours à notre époque, mais ma mémoire les a gardées intactes), j’avais été admis « en moderne », en sixième très exactement et dans la classe de Marius Autran. J’ai gardé de lui un souvenir tout particulier.

    Autant les professeurs qui furent les miens en même temps que Monsieur Autran, étaient tous sujets à moqueries de notre part, nous, les élèves, ou de critiques tout aussi bien, autant Monsieur Autran ne paraissait pas « discutable » à nos jeunes yeux. Monsieur Autran n’avait pas de tic comme Monsieur Turquay le professeur de français qui disait « chut » - « chut-chut » à tout bout de champ, 134 dans l’heure de la leçon. Monsieur Autran ne nous faisait pas peur comme Monsieur Dary, le professeur de mathématiques qui entretenait la terreur, il n’arborait pas une cravate différente à chaque cours comme Monsieur Faber, le professeur d’anglais et, à l’inverse de Monsieur Laure, le professeur de sciences naturelles, il ne faisait pas de grands gestes qui mettaient en joie toute la classe. Il n’avait pas non plus comme le professeur d’histoire, Monsieur Muraccioli, Corse, de prétention communautariste, bref, Monsieur Autran, faisait figure à nos yeux d’un « prof »… normal ! On ne pouvait rien trouver à lui redire. Il avait l’art de traiter ses élèves comme des êtres ayant le même âge que lui et du coup, dépouillés de nos rôles d’élèves, on se tenait tout naturellement à carreau si je puis dire. Je ne dis pas cela pour faire plaisir à son fils, je le dis parce que je le pense réellement. Pour ce qui est des autres professeurs, j’usais déjà de mon talent d’imitateur et je faisais rire tous mes camarades lors des récréations en mettant en exergue leurs tics. Du coup, les professeurs qui avaient ouï-dire que je les imitais ne s’aventuraient plus à m’interroger, craignant de déchaîner l’hilarité. J’avais trouvé le moyen de me protéger, de me caparaçonner, de me mettre à l’abri, bien que quelquefois je souhaitais être convoqué au tableau en levant le doigt, mais les profs faisaient mine d’ignorer mes demandes.

    J’ai souffert tout jeune d’un embonpoint qui me différenciait de mes autres camarades, lesquels ne se gênaient guère pour me rappeler à divers moments de la journée mon état : « gros plein de soupe - gros lard - « boudenffle » - bonbonne », j’en passe et des pires. Et lorsque j’étais tout particulièrement mis sur la sellette et agressé et qu’un de mes soi-disant copains se précipitait sur moi, c’est encore l’imitation qui me sauvait la mise. En effet, tandis que l’agresseur tentait de m’impressionner par une attaque inattendue, il me suffisait de prendre la même posture que lui pour le désarçonner dans son élan.

    En imitant son geste menaçant, je prenais sa place et tandis qu’autour on s’esclaffait, attaqué que j’étais, je devenais attaquant. C’était pratique !

    Donc, pour la fête de fin d’année, après l’obtention du BEPC (brevet d’études du premier cycle), il avait été convenu que notre classe de troisième donnerait sur la scène de « La Seynoise », la célèbre partie de cartes de « Marius » de la fameuse Trilogie de Pagnol « Marius-Fanny-César » et j’avais été désigné étant donné mes succès en récitation, pour interpréter le rôle de Panisse. Très vite je compris que j’allais y exceller pour la bonne raison que j’imitais à la perfection Charpin qui a créé le rôle auprès de Raimu dans le film « Marius » mis en scène par Alexander Korda en 1931. Or, mon grand-père Louis Tisot était féru d’enregistrements, tant d’opéras que de succès du moment et il me passait sur son phonographe, le disque en cire de la partie de cartes à tout bout de champ. D’ailleurs, lui seul, selon ma grand-mère Marguerite, avait le droit de remonter le mécanisme du phono, personne d’autre ne devait y toucher. Les trois films cités faisaient les délices des Seynois chaque fois qu’ils étaient programmés à l’Odéon, ou bien au Rex, les deux cinémas de la ville. « Fanny » a été mis en scène par Marc Allégret et « César » par Pagnol lui-même. Bref, j’ai été nourri de Pagnol dès mon jeune âge.

    C’est Monsieur Troubat, le professeur de gymnastique, qui avait en charge les répétitions qui s’opéraient le plus souvent dans une salle qui se trouvait en sous-sol de l’école Martini d’alors, dont le directeur était Monsieur Malsert lequel était particulièrement craint. On ne le croisait qu’avec déférence.
Enfin, le soir de la représentation arriva, j’étais coiffé comme l’était Charpin dans le film, d’un chapeau mou beige et mon ventre avait été emprisonné et enroulé dans une taillole de la même couleur. Et ce qui devait arriver arriva !

    Je n’obtins pas un succès, mais un triomphe. Le lendemain, les clients de la pâtisserie familiale firent des gorges chaudes à ma mère de mon interprétation : « Mon Dieu, madame Tisot, votre fils !...C’était le portrait craché de Charpin. Ce qu’il l’a bien refait. On aurait dit lui ! C’est un artiste votre fils! ».

    C’est après cette soirée que les filles de l’école Curie qui ne me regardaient pas jusqu’à présent, commencèrent à me faire de légers, de très légers clins d’œil qui me mettaient du baume au cœur. Tout cela je le dois à « La Seynoise » ! C’en était fait, ma carrière artistique pouvait commencer.

    Il est à remarquer d’ailleurs qu’elle débuta à « La Seynoise » par une imitation au service de la comédie, et cela se produisit à l’inverse plus tard lorsque de la Comédie Française où je fus engagé à 20 ans comme Pensionnaire, je basculais de la comédie dans l’imitation du général de Gaulle.

    Et encore bien plus tard, en 2000, je fus engagé auprès de Roger Hanin dans la même Trilogie de Pagnol pour jouer auprès de lui le rôle de Panisse. Mais là, je n’eus plus besoin d’imiter Charpin, c’est Tisot qui s’exprimait jusqu’à devenir Panisse en personne selon le public.

    Fernand Charpin, créateur du rôle d’Honoré Panisse, était né le 1er juin 1887 et moi, je suis né le 1er juin 1937. Il est des coïncidences qui demeurent troublantes pour ne pas dire abusives comme se plaisait à les désigner Louis Pauwels.

    Toujours est-il qu’aujourd’hui, tandis que je regarde en arrière, je considère que ma vie prit sa véritable direction après cette soirée mémorable de « La Seynoise » en 1952 si je ne me trompe pas. A la suite de quoi, j’entrais au Conservatoire de Toulon où j’appris les bases de ce qui allait être mon métier de comédien avec Armand Lizzani, puis je prenais bientôt le train pour Paris en 1955 et entrais au Conservatoire d’Art dramatique dans la classe de Béatrix Dussane. Après les concours de sortie, j’obtins un second prix de comédie classique dans Sganarelle de « Dom Juan » de Molière et un second prix de comédie moderne dans « La femme du boulanger » de Marcel…. « Pagnol, Pagnol, quand tu nous tiens… »

    Je fus alors engagé comme Pensionnaire à la Comédie Française en 1957 (j’avais 20 ans) où j’allais demeurer jusqu’en 1960. Puis, ça allait être le tournage pour la télévision, l’ORTF d’alors, du feuilleton « Le Temps des copains » où je campais Lucien Gonfaron, qui reste dans la mémoire collective des Français, et en même temps l’imitation du général de Gaulle, chef de l’État, qui allait me propulser au firmament grâce à « L’Autocirculation » dont un million de 45 tours furent vendus, lesquels brocardaient la politique algérienne de « l’Autodétermination » du général de Gaulle.

    C’est véritablement après la mémorable soirée de « La Seynoise », au cours de laquelle j’acquis un certain prestige grâce au rôle de Panisse que je compris que le fait d’enfourcher un autre personnage que le sien, permettait de faire route, de faire carrière, bref, d’aller plus loin que l’on aurait pu aller soi-même et tout seul. Il faut imiter plus grand que soi pour véritablement avancer dans la vie. J’ai donc pris pour habitude de me faire accompagner de tous les rôles que j’étais capable d’endosser. Gandhi a dit : « On devient ce qu’on admire ».

    Il m’arrive de m’interroger : que serait-il advenu de moi sans cette soirée à « La Seynoise » qui m’a propulsé vers mon avenir avec tout ce qu’il a comporté qui n’est certes pas commun ? Sans doute n’aurais-je pas su ou pu prendre le dessus sur les complexes que m’imposaient mon physique et j’aurais rongé mon frein à La Seyne sans avoir la possibilité de sortir de cette chrysalide que j’eus la riche idée d’abandonner dans le train qui me conduisit à Paris, de telle sorte que, débarquant sur le quai de la gare de Lyon, j’étais un homme neuf. Il ne me restait plus qu’à devenir celui que je suis devenu : Henri Tisot.



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